Le 22 octobre prochain, nous sommes enjoints, par oukase présidentiel zélemment mis en œuvre par le Ministère de l’Éducation nationale (BO n°30 du 30 août 2007), de lire dans nos lycées la dernière lettre du jeune résistant communiste Guy Môquet, fusillé à 17 ans en 1941.
Peu de temps après la polémique sur l’enseignement des « aspects positifs de la colonisation », l’événement médiatico-politique programmé appelle un certain nombre de commentaires de notre part [1]
. Toutes les conditions d’une instrumentalisation politique de l’histoire d’une part, de la confusion scientifique et pédagogique d’autre part, sont en effet remplies.
CONTRE TOUTE FORME DE RÉCUPÉRATION POLITIQUE DE L’HISTOIRE ET DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE
Le discours mémoriel du président de la République et le Panthéon disparate de personnalités historiques qu’il y convoque, au rang desquelles figurent plusieurs figures tutélaires de la gauche dans un agglomérat de références historiques complètement décontextualisées, sont de toute évidence chargés d’arrière-pensées.
Nous estimons que la mémoire de l’engagement résistant de Guy Môquet, indissociable de son engagement communiste, n’a rien à gagner à devenir le prétexte à une lecture édifiante aux lycéens de France. Au-delà, nous dénonçons un usage de l’histoire [2] qui tend à fabriquer un consensus national autour d’une mémoire officielle occultant rapports de pouvoir et luttes sociales. Dans un tel contexte, l’annonce de la visite d’élus de la majorité dans certains établissements à l’occasion de cette commémoration sonne comme une provocation et constitue une grave entorse au principe de laïcité, à l’heure où tous les enseignants du pays viennent de recevoir une grandiloquente « lettre aux éducateurs », dont l’auteur ne semble décidément pas avoir puisé son inspiration dans la « lettre aux instituteurs » de Jules Ferry. La Section académique du SNES a écrit au recteur [3] pour le mettre en garde et lui rappeler sa responsabilité quant au respect de ce principe élémentaire du service public d’éducation.
CONTRE LA CONFUSION DES ESPRITS ET LES ABERRATIONS PÉDAGOGIQUES
L’enseignement de l’histoire ne se construit ni par le recours à l’émotion ni par l’identification collective sans recul critique. Il serait inacceptable que l’exercice se limite à une séquence émotionnelle et ignore l’indispensable : la recherche de sens et la remise en perspective dans un contexte élargi.
La lecture de la lettre de Guy Môquet ne peut s’envisager en dehors des programmes officiels et des progressions pédagogiques élaborées par les enseignants qui seuls garantissent qu’elle soit replacée dans son contexte historique d’élaboration. Laissons donc aux enseignants d’histoire-géographie leurs prérogatives et leur autonomie pédagogique dans leur façon d’aborder l’enseignement de la Résistance et de ses mémoires : seul le cadre de cet enseignement structuré permettra d’aborder l’histoire dans sa complexité et de ne pas en rester à sa caricature voire à son déni.
Le SNES sera vigilant aux formes qui seront données à cette commémoration et appelle l’ensemble des personnels :
- à contacter la Section académique du SNES face aux initiatives locales qui apparaîtraient illégitimes ;
- à refuser toute pression et à construire collectivement le refus de cette commémoration.
Pour la Section académique du SNES
Jean-Paul Clot, Eric Michelangeli